Omar Osman Rabeh: ses Idées, sa Vision

Tuesday, July 28, 2009

Histoire de la République de Djibouti

Le « référendum » du 19 mars 1967



1ère Partie


Introduction

Il est bon, de temps à autre, de recadrer, de « border » en quelque sorte la vie : pour en prendre la mesure et le cap, sinon elle se répand et se perd dans l’indéfini…
Vivre signifie tout d’abord ne pas mourir moralement ; ne pas dévier et finir dans la gueule du loup …
« Qui n’avance pas recule !... » Et recule vers la mort, car la mort nous talonne… On vit tant qu’on peut la fuir. Plus grande est la distance que nous mettons entre elle et nous, plus sûr est le survivre.
« Progresser » est par conséquent un impératif de « la longue marche » de la vie…

Que signifie donc le 19 mars 1967 ? Beaucoup pour ceux d’entre nous qui n’étaient pas encore nés ou étaient encore trop jeunes. Quant aux vétérans cette remémoration offrira, j’en suis sûr un moment émouvant de recueillement.
Dans cette 1ère partie, nous voulons évoquer en premier lieu le contexte de l’époque et l’état des esprits d’alors.


I. LE CONTEXTE INTERNATIONAL

C’était au sortir de la IIème guerre mondiale, le temps des idéaux et des héros où les positions et les camps des combattants étaient clairement définis !...
Entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, entre combattants de la liberté et colonialistes !
Entre alliés et ennemis. Ce n’était pas la religion du « ventre et du bas ventre », de la violence gratuite et de la confusion des genres !... C’était une époque où prédominaient les idéologies, où l’on rivalisait dans chaque camp et dans la fidélité aux principes, à être le meilleur; où codes d’honneur et critères n’avaient pas été gommés…

Une ou deux décennies auparavant avaient lieu des événements hors du commun qui ne laissaient guère à l’Humanité le loisir de somnoler ou de faire l’indifférent en s’enfermant dans son cocon d’anonymat…

1- Tout d’abord et éclatant comme un tonnerre à la barbe « Yankee », la Révolution Cubaine (1959), qui se doublait bientôt de la « Crise des missiles » (1962) mettant le monde au bord du gouffre. La flambée cubaine eut vite fait le tour du monde des opprimés. Avec, déifiés, ses 2 idoles : Castro mais surtout le « Che » (Ernesto Che Guevara), le légendaire médecin argentin avec son éternelle tenue de combat, ses théories guerrières, son béret étoile et ses ordres de « commandant en chef » de la Révolution Mondiale – « Créer deux, trois, de nombreux Vietnam !... » Les USA eurent beau décréter la quarantaine, la contagion révolutionnaire atteignit la chasse gardée latino-américaine et fusa sur la planète où le « Che » médiatique et narguant le Moloch américain, s’adjugea une gloire à la « Gargarine » (Célèbre astronaute russe, Héros et pionnier de la 1ère randonnée dans l’espace)…
2- L’assassinat troublant, longtemps demeuré mystérieux, relevant littéralement du roman policier de JF Kennedy (1963), beau et brillant jeune président des Etats-Unis qui avaient d’emblée accaparé les cœurs…
3- Le « famélique » et vieil « Ho » (Ho Chi Minh) avec sa barbiche aux poils comptés et son invincible général GIAP renversent définitivement le cours de l’histoire à Dien Bien Phu (1954) : La déroutante victoire des opprimés sur les oppresseurs consacra le lever du rideau sur la nouvelle époque : celle qui sonna le glas des faux dieux pondus à Berlin (1884). Phare et référence, Dien Bien Phu délivra tous les « damnés de la terre » (Cet ouvrage de F. Fanon, avec la mémorable préface de Sartre, fut le bréviaire et le livre de chevet de tous les colonisés de par la planète).
4- Quelques années auparavant, un « Fakir », vieillard chancelant accroché au bâton qui avait nom Gandhi, administrait une leçon incroyable à l’Occident et au monde. Sa nouvelle trouvaille, géniale s’il en fut, consistait simplement en ceci : à savoir que « moins par moins ( - ) x ( - ), cela faisait plus !...(à la bonne heure lycéens et autres apprentis héros !...) Autrement dit en termes de colonisé : oppression et privation de la liberté par la « non-violence », cela vous donnait à coup sûr la victoire !...(notamment sur ces « gentilshommes » d’Anglais qui d’ailleurs ne manquaient d’admiration à son endroit…)

, Là-bas dans l’Outre-Atlantique et loin des Krishna, au pays des Apaches et des Kunta Kinte un homme avait pris ce principe à cœur. Il y mit tant de passion, de poétique et de prophétique que le « melting pot » entra bientôt en ébullition. La refonte, effrayante, apparut tout à coup en plein jour… Refonte des formes, de l’ordre, du domino et de l a « Maison divisée »… Martin Luther King songeait déjà au modèle, au mode de la vie renouvelée... Cependant, certains de ses compatriotes, auxquels était fermé le monde du rêve, qui n’avaient pas entendu le « I have a dream… » à vous tous !... et qui désespéraient en outre du Paradis ici-bas ou ailleurs, furent subitement pris de panique en sentant la terre bouger à leurs pieds … Ils firent exploser ce cœur pathétique battant le tambour des âmes (1968). Ils éteignirent cet esprit en éruption qui brûlait comme un soleil ivre dans la nuit glacée de l’inquisition et du Ku Klux klan… La belle bouche se tue… La symphonie des mots se perdit dans le silence…
C’était l’Amérique des Lincoln… L’Amérique des Kennedy… Des Martin Luther King… Des « chênes qu’on abat »…


II. LE CONTEXTE AFRICAIN, REGIONAL ET NATIONAL

L’Afrique connut 2 catégories d’hommes différents :

1. Tout d’abord les Grands Défenseurs du Continent. Ceux qui levèrent le bouclier de la résistance face à l’invasion coloniale : Omar Mukhtar au Nord, Chaka Zoulou au Sud, Samory à l’Ouest et le Sayid Abdille Hassan à l’Est… C’était des Héros d’envergure continentale, des géants dont les noms et les exploits vivent toujours dans la mémoire éternelle des Africains. Ils ont donné le ton pour avoir défendu notre dignité humaine et notre héritage…
2. Puis vinrent les « Pères de l’indépendance » et du panafricanisme ; ceux qui partirent hardiment à la recherche de la liberté ravie. Apôtres du souvenir et de l’avenir, rejetant d’un seul bloc chaînes d’esclavage, humanité tronquée et histoire truquée… Venait en premier lieu, en chef de file ouvrant la voie, NKrumah du Ghana, homme politique, écrivain et philosophe, et héros de l’indépendance (1957).Suivent ensuite le célèbre Sékou Touré, l’heureux homme du « non » de la Guinée (1958). Et Lumumba, magnétique, Premier Ministre du Congo Kinshasa, auquel il faut faire une place à part dans le podium et dont la mort inique fut pour l’Afrique entière le crève-cœur de tous les espoirs !... On se souvient de dernières images déchirantes, d’ultimes paroles poignantes avant qu’il ne fût poussé dans la fosse au bout de la baïonnette…(1960)
Au Lumumba olympien succéda alors, comme Chronos à Apollon, Mobutu, mort sans mention ni sépulture morale…
3. Dans la région de la Corne enfin, les « NATO » d’hier (Participants, à Berlin, au partage de l’Afrique…) prirent partie pour la chère et chrétienne Abyssinie, partie prenante du reste du partage du « gâteau » (voir le Lettre circulaire de 1891...). Tandis qu’ils décidèrent de jongler sans scrupules avec les pièces du territoire national somali…





2ème PARTIE




III. CFS – TFAI – RDD


Voici une histoire en mouvement, la notre !... Une histoire qu’il faut accompagner et comprendre, aimer et améliorer !...

Tout commence avec l’installation de la France à Obock (1884). Puis on retraversa la baie de Tadjourah et Djibouti voit le jour. Ensuite… qui a dit que « l’histoire se répétait deux fois ? » Réorganisation économique, politique et spatiale de la RDD avec les projets de Pont sur le Bab-el- Mandeb et la Ville Lumière, on est sur le point de repartir une fois de plus pour Obock.
Il faudrait pour tant de jeunes djiboutiens reproduire la « chronologie des origines », celle de la fondation de la République de Djibouti, avec images à l’appui pour illustrer les différentes étapes parcourues... Nous manquons ici d’espace, mais cela viendra j’en suis sûr… Pour ne prendre que la ville de Djibouti : comme elle a dû changer au cours du temps en passant par bien de circonstances !... (Guerre mondiales, guerre civile, blocus, bataille pour l’indépendance, etc.) avec, à chaque fois, une « figure » différente !... Et de même change l’histoire humaine, le relief physique du pays (bien que moins perceptible). Changent aussi et surtout les gens, les modes de vies, les pensées et les goûts, les comportements et les croyances, etc.

Plus que les choses donc, les hommes sont amenés à changer, à évoluer. Qui ne change pas dans sa façon d’être, de voir et d’agir pour être meilleur et marcher au pas avec son époque est, au milieu de ses contemporains, comme une pièce de monnaie surannée qui n’a plus cours !... Il perd les « points cardinaux L’aptitude à s’adapter aux nouvelles conditions de vie signifie savoir « nager » dans le courant de l’histoire (et nager, c’est être au rythme de l’eau et des vagues pour ne pas faire naufrage…)

1935- La revendication indépendantiste avait commence très tôt à Djibouti (syndicalisme, 1eres associations patriotiques). Mais 1948 est une année décisive pour la Corne (avec la visite, après la IIeme guerre mondiale, des « 4 Powers » en Somalie). Conséquence : la guerre civile, montée de toutes pièces par le colonialisme, fait voler en éclat la communauté somalie jusqu'à là unie et fraternelle en CFS. Pour faire pièce au mouvement pansomaliste naissant... Après la tragédie, les clans méfiants se séparent et se regroupent respectivement en des lieux distincts. Le cloisonnement artificiel, cadre idéal pour la domination, se met en place. Haine, mensonge et impuissance gagnent la population blessée, résignée. Chaque clan Somali s’enterre dans un quartier, coupé de tout et du monde… Tous se sentaient coupables cependant de s’être entretués entre frères pour le compte du colon, qui avait ainsi la paix mais pas pour longtemps ….

1958- Pour la 1ère fois, l’indépendance était revendiquée haut et fort avec Harbi, visionnaire et leader hors pair nourrissant de grandes et nouvelles ambitions, et brillant au zénith du pansomalisme. Toutefois, sa vie fulgurante passa comme une comète dans histoire… ; après le tribalisme, les séquelles de la guerre civile et l’ignorance eurent fait dérailler l’« express de l’indépendance », arrivé trop tôt peut-être et forcé le grand homme à l’exil…

1966-1967- Puis vint, dix ans après (se fait-il que la cadence de notre destin national, que l’onde de notre histoire soit de dix en dix ?...) En août 1966 vint Le « Grand Charles » (De Gaulle) qui trébucha sur la petite CFS qui avait l’impudence de lever la tête à l’improviste !... Mais « l’homme du 18 Juin », lui qui, « rebelle » et paria et sans patrie avait tenu la dragée haute aux Roosevelt et consorts, des « Banderoles » et des « Boudoubada !... » (allitération ironique d’« indépendance »), il ne l’entendait pas de cette oreille !... Avec sa raideur de statue, son grand nez pour sentir l’air du temps et son œil d’aigle pour détecter au loin il caressait des projets autrement grandioses dont la minuscule CFS avait le malheur d’être une des pièces maîtresses !… En effet, une fois fait le ménage et la maison française remise en ordre, le moment était venu d’installer l’« Empire » (gaullien) dans le monde... De faire place nette à la France ! En poussant l’Est et à l’Est et l’Ouest à l’Ouest ! Et en substituant… Ouralisme à Atlantisme !...
En somme, Harbi était un point noir et un contre-projet dans le plan…
Il y avait 10 ans la Guinée de Sékou Touré avait pris la France au mot... En 1967, De Gaulle, malicieusement, nous tendit le piège (le « référendum ») après avoir pris ses « précautions »…Nous nous fîmes avoir (voir les extraits ci-dessous).

Avant de lire ces extraits qui résument l’essentiel, je voudrais rappeler 2 événements qui ne sont pas mentionnés. Tout d’abord l’action inoubliable des lycéens de l’époque qui, tous clans et tous quartiers confondus, menaient la vie dure au colon, après la classe, en livrant bataille dans les rues nocturnes et solitaires de la ville. Les murs, peints par leur soin, hurlaient : la « liberté ou la mort ».
Le colon tuait la « liberté » et laissait vivre la « mort ».... Les lycéens incarnaient la résurrection et le flambeau dans la nuit profonde de l’oppression. Il livrait chaque nuit, en commando, un combat à mort pour la cause. Quel spectacle émouvant que de voir ces jeunes de jadis, si alertes, aujourd’hui quelque peu alourdis, la tête blanchie, parfois la bouche édentée mais dont l’œil brille de mémoire et de vie à l’évocation du souvenir ! …
Et comment ne pas rappeler le rôle de nos filles qui, dans ces circonstances tragiques, se sont battues elles aussi comme des lionnes, soulageant par un coup de massue plus d’un jeunes malmenés par un « koofiyad cadede » (« képi blanc » = légionnaire) ; lançant à l’adresse des fuyards : « Fais figure d’homme !... ou va au diable ! » Et les patriotes reconnaissants d’entonner : « Gobsanaa hablahayagu !... »




Extraits du Le Cercle et la Spirale, par Omar Osman Rabeh, Paris, Les Lettres libres, 1983

« Dès le matin, les électeurs se pressaient en foule compacte et disciplinée devant les bureaux de vote. Les habitants s’encourageaient mutuellement, s’offraient des rafraichissements. C’était la fête, une fete ou portant le cœur n’y était déjà plus mais seulement le courage. » P.

« 19 mars 1967, 17h30. A l’avenue 13, l’armée et la gendarmerie avaient déjà pris position, alignaient leurs véhicules ; sur les automitrailleuses pendaient des bandes de cartouches. Les balles oblongues et dorées renvoyaient des éclats rouges sous le soleil couchant. Je me dirigeais silencieux vers le siège du Parti ; mes grandes espérances s’étiolaient… Inquiète, la population observait avec grande appréhension ces forces imposantes amassées dans l’avenue. Un groupe de journaliste discutaient avec des jeunes, la colère montait. On sentait que la farce allait se terminer dans le sang. »

« 18h30, au carrefour du boulevard de Gaulle et de l’avenue 13. Nous avions tenté, vainement, de porter à manger à nos assesseurs du bureau de vote du quartier 2. Le cordon de soldats nous refoula. Un groupe d’officiers se tenaient à côté des blindés rangés le long du boulevard ; ils observaient, attendant le moment d’agir. Je me dirigeai vers eux, indigné, et m’adressai à leur supérieur. Je lâchai un mot malheureux, impropre aux circonstances ; je m’en aperçus rapidement par la réaction ironique de mon interlocuteur :
-Mais ce n’est pas démocratique !
Le General s’esclaffa, interpella un collègue et s’exclama :
-Oh ! Untel, on me traite de « démocrate » ! Moi !... Ha !... Ha !... Ha !... Avec l’intention de me dire : « Mais mon pauvre imbécile, je ne suis pas là pour ça ! »
« Jusqu'à minuit, les résultats des différents bureaux de vote (de Djibouti et du Sud) nous furent nettement favorables à nous partisans enthousiastes de l’indépendance ; mais à partir de zéro heure la radio diffusa un conseil significatif semblable à une espèce d’anesthésie préalable à la douloureuse opération chirurgicale : la mise à mort de notre indépendance tant désirée ! « Gardez votre sang froid !» (Dhiigiina Qabooja !)… Des vagues successives de « Oui » interminables et sans mélange affluaient du Nord, nous frappaient de plein fouet, comme des boulets rouges et brûlants. C’était le commencement de la fin. Le lendemain on déclarait dans les informations que le « oui » l’avait emporté sur le « non » et que la population avait opté, à une « large majorité » pour le maintien du territoire dans l’ensemble français…

Le lendemain matin de bonheur, « je me rendais chez le Secrétaire Général (du PMP) ; Monsieur Gouled se tenait, un cigarette à la main, à sa fenêtre du 1er étage ; nous parlions des résultats du « référendum » (…) Tout à coup, une sourde détonation ébranla l’air, je ne sais plus quand ni comment je dégringolai l’escalier. J’arrivais à l’avenue 13où la population révoltée contre ce mensonge, affrontait les forces de l’ordre ; hommes, ménagères revenues du marché, enfants tous couraient en tous sens, effrayés. Les soldats, abrités, tiraient sur la foule, des cibles faciles.

Partout dans la ville africaine (où l’on essayait de le contenir), le peuple livrait un dernier combat à coups de pierres et de bouteilles, allumait des feux dans les rues pour empêcher les camions et les tanks d’entrer dans les quartiers (…)
Des hélicoptères survolaient les quartiers, lâchaient des grenades sur les habitants. On ne comptait plus les blessés et les morts… (…)

« C’était la défaite, le bouclage des quartiers,les fouilles, les longues heures d’attente dans les rues, au soleil, les mains sur la têtes et des mitraillettes autour braquées sur vous… Le taureau populaire, vaincu, gisait dans la boue, la sueur et le sang. Après l’instant de frénésie, de lucide liberté, venait le coup de massue et le coma… jusqu’au prochain assaut. »





2ème PARTIE




III. CFS – TFAI – RDD


Voici une histoire en mouvement, la notre !... Une histoire qu’il faut accompagner et comprendre, aimer et améliorer !...

Tout commence avec l’installation de la France à Obock (1884). Puis on retraversa la baie de Tadjourah et Djibouti voit le jour. Ensuite… qui a dit que « l’histoire se répétait deux fois ? » Réorganisation économique, politique et spatiale de la RDD avec les projets de Pont sur le Bab-el- Mandeb et la Ville Lumière, on est sur le point de repartir une fois de plus pour Obock.
Il faudrait pour tant de jeunes djiboutiens reproduire la « chronologie des origines », celle de la fondation de la République de Djibouti, avec images à l’appui pour illustrer les différentes étapes parcourues... Nous manquons ici d’espace, mais cela viendra j’en suis sûr… Pour ne prendre que la ville de Djibouti : comme elle a dû changer au cours du temps en passant par bien de circonstances !... (Guerre mondiales, guerre civile, blocus, bataille pour l’indépendance, etc.) avec, à chaque fois, une « figure » différente !... Et de même change l’histoire humaine, le relief physique du pays (bien que moins perceptible). Changent aussi et surtout les gens, les modes de vies, les pensées et les goûts, les comportements et les croyances, etc.

Plus que les choses donc, les hommes sont amenés à changer, à évoluer. Qui ne change pas dans sa façon d’être, de voir et d’agir pour être meilleur et marcher au pas avec son époque est, au milieu de ses contemporains, comme une pièce de monnaie surannée qui n’a plus cours !... Il perd les « points cardinaux L’aptitude à s’adapter aux nouvelles conditions de vie signifie savoir « nager » dans le courant de l’histoire (et nager, c’est être au rythme de l’eau et des vagues pour ne pas faire naufrage…)

1935- La revendication indépendantiste avait commence très tôt à Djibouti (syndicalisme, 1eres associations patriotiques). Mais 1948 est une année décisive pour la Corne (avec la visite, après la IIeme guerre mondiale, des « 4 Powers » en Somalie). Conséquence : la guerre civile, montée de toutes pièces par le colonialisme, fait voler en éclat la communauté somalie jusqu'à là unie et fraternelle en CFS. Pour faire pièce au mouvement pansomaliste naissant... Après la tragédie, les clans méfiants se séparent et se regroupent respectivement en des lieux distincts. Le cloisonnement artificiel, cadre idéal pour la domination, se met en place. Haine, mensonge et impuissance gagnent la population blessée, résignée. Chaque clan Somali s’enterre dans un quartier, coupé de tout et du monde… Tous se sentaient coupables cependant de s’être entretués entre frères pour le compte du colon, qui avait ainsi la paix mais pas pour longtemps ….

1958- Pour la 1ère fois, l’indépendance était revendiquée haut et fort avec Harbi, visionnaire et leader hors pair nourrissant de grandes et nouvelles ambitions, et brillant au zénith du pansomalisme. Toutefois, sa vie fulgurante passa comme une comète dans histoire… ; après le tribalisme, les séquelles de la guerre civile et l’ignorance eurent fait dérailler l’« express de l’indépendance », arrivé trop tôt peut-être et forcé le grand homme à l’exil…

1966-1967- Puis vint, dix ans après (se fait-il que la cadence de notre destin national, que l’onde de notre histoire soit de dix en dix ?...) En août 1966 vint Le « Grand Charles » (De Gaulle) qui trébucha sur la petite CFS qui avait l’impudence de lever la tête à l’improviste !... Mais « l’homme du 18 Juin », lui qui, « rebelle » et paria et sans patrie avait tenu la dragée haute aux Roosevelt et consorts, des « Banderoles » et des « Boudoubada !... » (allitération ironique d’« indépendance »), il ne l’entendait pas de cette oreille !... Avec sa raideur de statue, son grand nez pour sentir l’air du temps et son œil d’aigle pour détecter au loin il caressait des projets autrement grandioses dont la minuscule CFS avait le malheur d’être une des pièces maîtresses !… En effet, une fois fait le ménage et la maison française remise en ordre, le moment était venu d’installer l’« Empire » (gaullien) dans le monde... De faire place nette à la France ! En poussant l’Est et à l’Est et l’Ouest à l’Ouest ! Et en substituant… Ouralisme à Atlantisme !...
En somme, Harbi était un point noir et un contre-projet dans le plan…
Il y avait 10 ans la Guinée de Sékou Touré avait pris la France au mot... En 1967, De Gaulle, malicieusement, nous tendit le piège (le « référendum ») après avoir pris ses « précautions »…Nous nous fîmes avoir (voir les extraits ci-dessous).

Avant de lire ces extraits qui résument l’essentiel, je voudrais rappeler 2 événements qui ne sont pas mentionnés. Tout d’abord l’action inoubliable des lycéens de l’époque qui, tous clans et tous quartiers confondus, menaient la vie dure au colon, après la classe, en livrant bataille dans les rues nocturnes et solitaires de la ville. Les murs, peints par leur soin, hurlaient : la « liberté ou la mort ».
Le colon tuait la « liberté » et laissait vivre la « mort ».... Les lycéens incarnaient la résurrection et le flambeau dans la nuit profonde de l’oppression. Il livrait chaque nuit, en commando, un combat à mort pour la cause. Quel spectacle émouvant que de voir ces jeunes de jadis, si alertes, aujourd’hui quelque peu alourdis, la tête blanchie, parfois la bouche édentée mais dont l’œil brille de mémoire et de vie à l’évocation du souvenir ! …
Et comment ne pas rappeler le rôle de nos filles qui, dans ces circonstances tragiques, se sont battues elles aussi comme des lionnes, soulageant par un coup de massue plus d’un jeunes malmenés par un « koofiyad cadede » (« képi blanc » = légionnaire) ; lançant à l’adresse des fuyards : « Fais figure d’homme !... ou va au diable ! » Et les patriotes reconnaissants d’entonner : « Gobsanaa hablahayagu !... »




Extraits du Le Cercle et la Spirale, par Omar Osman Rabeh, Paris, Les Lettres libres, 1983

« Dès le matin, les électeurs se pressaient en foule compacte et disciplinée devant les bureaux de vote. Les habitants s’encourageaient mutuellement, s’offraient des rafraichissements. C’était la fête, une fete ou portant le cœur n’y était déjà plus mais seulement le courage. » P.

« 19 mars 1967, 17h30. A l’avenue 13, l’armée et la gendarmerie avaient déjà pris position, alignaient leurs véhicules ; sur les automitrailleuses pendaient des bandes de cartouches. Les balles oblongues et dorées renvoyaient des éclats rouges sous le soleil couchant. Je me dirigeais silencieux vers le siège du Parti ; mes grandes espérances s’étiolaient… Inquiète, la population observait avec grande appréhension ces forces imposantes amassées dans l’avenue. Un groupe de journaliste discutaient avec des jeunes, la colère montait. On sentait que la farce allait se terminer dans le sang. »

« 18h30, au carrefour du boulevard de Gaulle et de l’avenue 13. Nous avions tenté, vainement, de porter à manger à nos assesseurs du bureau de vote du quartier 2. Le cordon de soldats nous refoula. Un groupe d’officiers se tenaient à côté des blindés rangés le long du boulevard ; ils observaient, attendant le moment d’agir. Je me dirigeai vers eux, indigné, et m’adressai à leur supérieur. Je lâchai un mot malheureux, impropre aux circonstances ; je m’en aperçus rapidement par la réaction ironique de mon interlocuteur :
-Mais ce n’est pas démocratique !
Le General s’esclaffa, interpella un collègue et s’exclama :
-Oh ! Untel, on me traite de « démocrate » ! Moi !... Ha !... Ha !... Ha !... Avec l’intention de me dire : « Mais mon pauvre imbécile, je ne suis pas là pour ça ! »
« Jusqu'à minuit, les résultats des différents bureaux de vote (de Djibouti et du Sud) nous furent nettement favorables à nous partisans enthousiastes de l’indépendance ; mais à partir de zéro heure la radio diffusa un conseil significatif semblable à une espèce d’anesthésie préalable à la douloureuse opération chirurgicale : la mise à mort de notre indépendance tant désirée ! « Gardez votre sang froid !» (Dhiigiina Qabooja !)… Des vagues successives de « Oui » interminables et sans mélange affluaient du Nord, nous frappaient de plein fouet, comme des boulets rouges et brûlants. C’était le commencement de la fin. Le lendemain on déclarait dans les informations que le « oui » l’avait emporté sur le « non » et que la population avait opté, à une « large majorité » pour le maintien du territoire dans l’ensemble français…

Le lendemain matin de bonheur, « je me rendais chez le Secrétaire Général (du PMP) ; Monsieur Gouled se tenait, un cigarette à la main, à sa fenêtre du 1er étage ; nous parlions des résultats du « référendum » (…) Tout à coup, une sourde détonation ébranla l’air, je ne sais plus quand ni comment je dégringolai l’escalier. J’arrivais à l’avenue 13où la population révoltée contre ce mensonge, affrontait les forces de l’ordre ; hommes, ménagères revenues du marché, enfants tous couraient en tous sens, effrayés. Les soldats, abrités, tiraient sur la foule, des cibles faciles.

Partout dans la ville africaine (où l’on essayait de le contenir), le peuple livrait un dernier combat à coups de pierres et de bouteilles, allumait des feux dans les rues pour empêcher les camions et les tanks d’entrer dans les quartiers (…)
Des hélicoptères survolaient les quartiers, lâchaient des grenades sur les habitants. On ne comptait plus les blessés et les morts… (…)

« C’était la défaite, le bouclage des quartiers,les fouilles, les longues heures d’attente dans les rues, au soleil, les mains sur la têtes et des mitraillettes autour braquées sur vous… Le taureau populaire, vaincu, gisait dans la boue, la sueur et le sang. Après l’instant de frénésie, de lucide liberté, venait le coup de massue et le coma… jusqu’au prochain assaut. »